La part de Dieu dans l'œuvre de CG Jung


Les images religieuses sont produites par la psyché humaine. Elles passent par l'inconscient. Elles sont représentées par l'imaginaire collectif. Ce que préconise alors Jung, sur le plan de la méthode, sera une attitude empirique . Suite à sa rupture avec Freud, Jung cherche à rendre compte de faits psychiques ou de phénomènes psychiques provenant de cet inconscient afin d'éviter la spéculation. Jung se distingue de la psychiatrie classique de son temps, laquelle réduit le plan psychique au plan physique. 

« En me proposant d’analyser la trinité, ce symbole central du christianisme, à partir de la  psychologie, j'ai conscience de pénétrer dans un domaine apparemment très éloigné de celui où évolue le psychologue. Cependant, les religions sont à mon sens, tant par leur nature que par leurs doctrines, si proches de l'âme humaine que la psychologie n'a pas le droit de les ignorer. » C.G. Jung, Essais sur la symbolique de l’esprit

Faire l’expérience de Dieu

Jung ne nie pas l'existence d'un Dieu transcendant mais il s'abstient d'en parler. Cela parce que la foi n'est pas son credo, comme nous le verrons plus loin. Il ne s'agit pas de croire dit-il, mais de faire l'expérience de Dieu, mais comment, selon nous, faire l'expérience de ce que l'on voit comme inaccessible ? Cet «autre» en soi-même, ce facteur indépendant de ma volonté consciente avec lequel j'entre en rapport définit l'expérience religieuse. L'expérience de Dieu dans la terminologie jungienne est une confrontation directe avec l'inconscient. Elle est de nature individuelle avant tout, nous semble-t-il, et non collective. 

Dans une interview télévisée du 22 octobre 1959, John Freeman pose à Jung la 
question suivante : « Do you believe in God ? » Ce dernier répond: « l don't believe, l know. »
Pourtant Jung passe son temps à dire qu'il n'y a pas de certitude en ce domaine 
et pas de connaissance non plus. 

Selon nous, il ne s'agit pas ici de situer cette affirmation seulement sur le plan phénoménologique, faisant reposer cette réponse sur le fait que les images de Dieu ou de l'archétypes du Soi existent bel et bien. L'expérience de cet «autre» en lui, d'un facteur autonome ou d'un inconscient créateur, indépendant de la volonté de l 'homme, dicte le vécu de Jung et l'œuvre de ce dernier comme dépassement de la psychologie académique. Dans ce contexte, le moi, centre de la conscience n'est plus le seul gouvernant. 

« Dans une lettre à Valentine Brooke, datée du 16 novembre 1959, le psychiatre déclare 
Lorsque je dis que je n'ai pas besoin de croire en Dieu parce que je « sais », je veux dire par là que je sais ce qu'il en est de l'existence des images de Dieu. »

Comment savoir, d'après ce que dit Jung, si ces images sont justes sinon par l'expérience et non le savoir analytique ? 

Bien sur, ce quelque chose ne peut être su. Toujours dans une interview au sujet de Dieu, mais cette fois vingt ans auparavant, Jung déclare : 

« Tout ce que j'al appris m' a conduit pas à pas à une inébranlable conviction de l'existence de Dieu. Je ne crois qu'en ce que je sais. Et cela supprime le fait de croire. En conséquence je ne prends pas son existence pour une croyance - je sais qu'il existe. » Jung parle, Rencontre et interviews.

S'agit-il ici de la simple connaissance d'une image de Dieu ou d'une expérience numineuse plus affirmée ? Chose certaine, la définition suivante met l'accent sur le fait que la· définition de Dieu ne se limite pas à une image psychique : 

« Ce que certains appellent l'instinct ou l'intuition n'est rien d'autre que Dieu. Dieu est cette voix en nous qui nous dit ce qu'il faut faire et ne pas faire. En d'autres termes notre conscience... Je fais comprendre à mes patients que tout ce qui leur arrive contre leur volonté émane d'une force supérieure. On peut l'appeler Dieu ou le diable, mais pour moi c'est sans importance, à partir du moment où l'on prend conscience que c'est une force supérieure. On peut faire l'expérience de Dieu chaque jour. »



Le Dieu intérieur des mystiques

Dieu est cette voix en nous, oui, mais il n'est pas que cela. Lorsque Jung définit Dieu comme une force qui arrive contre notre volonté, n'est-ce pas plutôt, chez le mystique, l'occasion d'un dépassement du point de vue humain pour un accord avec l'âme. L'ultime sagesse est cet acquiescement à l'âme dans une attitude de compréhension et d'ouverture. 

Ce dynamisme du Soi, cette volonté divine agissante en nous n'a rien à voir avec le Dieu des  écritures. Plutôt que de renvoyer à une cause située en dehors de l'individu, comme c'est le cas dans la religion, Jung invente ce concept limite du Soi. C'est le Dieu des mystiques, croyons-nous, renvoyant à l'expérience vécue et non à un système dogmatique. 

C'est une méthode rationnelle nous permettant d'aborder le psychisme, alors que le plan du sentiment, de l'intuition et de l'expérience vécue, tant valorisé par Jung, suggère beaucoup plus que ce qui peut être révélé dans l'approche phénoménologique, c'est-à-dire en se fiant uniquement à ce qui apparaît à la conscience. 

Le concept de Dieu chez Jung renvoie indubitablement, tout autant à l'intuition ou l'expérience intérieure. 

Le sens d'une telle expérience a plus de valeur qu'une théorie scientifique pour Jung puisque le symbole est plus apte à expliquer la vie. C'est la raison pour laquelle Jung voit dans la mythologie religieuse un symbolisme psychologique qui est à même d'exprimer le processus vital de l'inconscient. Les religions sont alors instructives quant au comportement de l’homme.

Le Dieu d'Eckhart, aux yeux de Jung, a justement ce degré d'immanence ou cette valeur psychologique. C'est un Dieu intérieur et non projeté si l'on croit cette déclaration : « nous comprenons par royaume de Dieu l'âme, car l'âme est créée semblable à la divinité. »

Une force agit dans l'âme et l'âme la perçoit. Dieu s'introduit dans l'âme par l'intermédiaire d'images ou de symboles. Selon la mystique eckhartienne, le bonheur est l'état créateur dans lequel on se trouve lorsque l'âme comprend Dieu. 

Lorsque Jung parle du Soi comme d'une poussée intérieure qui demande à être assimilée par la conscience, Eckhart répond que Dieu veut naître dans l'âme. Ce que nous faisons, dit-il, est: « ... pour que Dieu naisse dans l'âme, et l'âme à son tour en Dieu. »

Dieu dépend de l'âme comme le Soi dépend du moi. 

Ainsi on éveille Dieu en soi. Eckhart parle de la naissance de Dieu. 

Dans les religions orientales, on reconnaît généralement une divinité à l'intérieur de l'individu. C'est pourquoi ces dernières fascinent Jung. Ce dernier considère que l'évolution de la conscience s'opère par le retrait des projections. Ce genre de constatation ou d'orientation du développement spirituel prend déjà une tangente qui nous conduit logiquement vers un certain type d'immanence. 

Notons que dans la pensée de Jung, si l'on évoque le terme de psyché, d'inconscient ou de Soi, l'idée est de nommer un inconnu. Il s'agit de concepts limites. 

L'inconscient ou Dieu sera toujours plus que ce que nous en percevons. 

L’union mystique

Les propos de Jung dans les dernières années de sa vie sont révélateurs. Dans le tome II du Mysterium Conjunctionis, paru en 1955-56, il parle de l'accomplissement de l'individuation comme étant identique à ce que décrivent les différentes voies d'Orient et d'Occident :

« Nous ne pouvons le comparer qu'au mystère ineffable de l' unio mystica, au tao chinois, au contenu du samadhi hindou, à l'expérience du satori dans le zen, états qui nous· font entrer dans la sphère de l'imprécis par excellence, et dans l'extrême subjectivité où tous les critères perdent leur valeur. » C.G. Jung, Mysterium Conjunctionis 

Ainsi, selon nous, pour celui qui entre profondément en lui-même, qui n'ignore pas sa psyché, l'expérience mystique des sages de l'Orient et de l'Occident est alors la même. 

« Aujourd'hui, personne ne fait attention à ce qui gît derrière les mots, aux idées de base qui sont là. Et pourtant l'idée est la seule chose qui soit vraiment là. Ce que j'ai fait dans mon œuvre, c'est simplement de donner de nouveaux noms à ces idées, à ces réalités. Considérez. par exemple le mot «inconscient ». Je viens d'achever la lecture d'un livre écrit par un bouddhiste zen chinois. Et il m'a paru que nous parlions de la même chose et que la seule différence entre nous venait de ce que nous donnions des noms différents à la même réalité. Ainsi l'emploi du mot « inconscient » importe peu, ce qui compte, c'est l'idée qui se trouve derrière le mot. » Miguel Serrano, C.G. Jung et Herman Hesse, entretiens du 10 mai 1961

Une représentation fidèle de ce que nous sommes psychiquement est capitale pour Jung puisque l'expérience religieuse a lieu en nous, au sein du psychisme. Dieu est en nous-même et n'existe pas seulement comme pure transcendance. Malgré l'affirmation du Christ que « le royaume de Dieu est en nous », la théologie occidentale tourne le dos à une divinité intérieure contrairement aux philosophies orientales. C'est justement pourquoi il faut regarder non pas la théologie mais la tradition mystique chrétienne depuis les pères de l'Église jusqu'à Teilhard De Chardin si l'on veut comprendre le divin. 

Jung voit Eckhart comme l'un des premiers penseurs à reconnaître que l'expérience du divin a lieu au sein du psychisme humain. D'après Jung, c'est là une différence fondamentale qui distingue ce penseur de l'église catholique. On ne peut expérimenter Dieu qu'en soi-même et non avec un Dieu extérieur à soi. Si Dieu est totalement « autre », comme le veut la conception théologique traditionnelle, alors la vie spirituelle ne discourt que sur des projections de l'inconscient et n'a que faire de leur intégration.

Notre mythologie chrétienne ou encore notre représentation symbolique de Dieu à travers le christianisme se doit d'évoluer selon Jung. Elle doit davantage s'adapter à la réalité empirique de l'homme. Les symboles ne représentent pas une réalité ontologique. Ce sont des projections psychiques, ce qui n'implique pas, bien sûr, qu'il n' y a pas un au-delà du psychisme. 

Selon Jung, l'imaginaire religieux doit davantage traduire une divinité plus humaine. Le fait que Jésus soit né du Saint-Esprit et perçu comme un être presque parfait, l'éloigne de l'homme mortel. On ne peut s'identifier totalement à Jésus, ce dernier n'étant pas complètement humain ou terrestre. 

La voie de l’unité

L'intégration progressive de nos projections sur le divin démontre un processus d'humanisation allant vers l'unité. D'abord des Dieux chez les Grecs, ensuite un seul Dieu chez les Juifs et enfin un Dieu devenu homme avec le christianisme. Bien sûr, cette idée n'est pas admise par la théologie occidentale . Comment un Dieu autosuffisant peut-il être en devenir ? Dans la perspective jungienne cependant, le Soi nous oriente vers une représentation toujours plus complète de la divinité de même qu'une plus grande conscience intégrée. La souffrance humaine, dans ce contexte, trouve un sens dans le dialogue avec l'inconscient considéré ici comme cette présence divine en nous et dans l'humanité. 

Concevoir la nature comme habitée par le divin s'oppose bien sûr à ce que l'on retrouve dans la tradition chrétienne où la nature, comme la matière, est sans âme, inerte et complètement au service de l'homme. En opposition à cette conception, Jung affirmait que : 

« La nature me paraissait en effet ainsi que moi-même, posée et différenciée par Dieu comme n'étant pas Dieu, bien que créée par lui comme expression de lui-même. Il ne m'entrait pas dans la tête que la ressemblance avec Dieu ne dût que concerner l'homme. » C.G. Jung, Ma vie 

Pour lui donc, l'esprit habite la nature. Le macrocosme se manifeste dans le microcosme de la psyché humaine. Cet inconnu en nous, aussi vaste que le monde, serait ce qu'il appelle l'inconscient collectif. Jung décrit en 1945 la relation de l'homme au monde: 

« ... ce qui en l'être humain correspond au cosmos... la naissance-du Soi comme un microcosme est en parallèle avec la formation du monde et des corps célestes sphériques [...] ce n'est pas l'homme empirique qui est la correspondentia du monde comme le pensait le Moyen âge mais sa totalité consciente et inconsciente. Ainsi l'homme total, l'anthropos est aussi vaste que le monde.  CG Jung - L’âme et la vie


D'après la thèse de 
LUC BEAUBIEN  

L'EXPÉRIENCE MYSTIQUE SELON C.G. JUNG 
La voie de l'individuation ou la réalisation du Soi 
Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en philosophie pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.) 
F ACUL TÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 
2009 

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